François Gérard nait en 1770 à Rome où son père est intendant du cardinal de Bernis, ambassadeur de France auprès du Pape. À l’âge de douze ans, il quitte Rome pour Paris. Montrant très tôt des aptitudes au dessin, il intègre d’abord l’atelier du sculpteur Augustin Pajou, financièrement plus abordable pour ses parents qu’une formation auprès d’un peintre. Puis c’est auprès de Nicolas Guy Brenet peintre de l’Académie qu’il poursuit sa formation. Il présente alors à l’âge de quatorze ans une composition achevée de peinture d’histoire à son maitre le suppliant de l’autoriser à réaliser le tableau. Face au refus catégorique de Brenet, Gérard persiste et réalise, en quelques jours, une composition de La Peste. Cette oeuvre de jeunesse révèle déjà le talent du futur peintre. En 1786, le Serment des Horaces de Jacques Louis David bouleverse l’esthétique établie et fascine les aspirants peintres, qui se ruent vers l’atelier de de l’artiste. Parmi eux, Gérard, qui s’initie alors au grand genre et réalise des sujets historiques ou allégoriques. En 1789, il est défait par son rival Girodet sur le thème de Joseph reconnu par ses frères, et arrive second au grand prix de Rome. L’année suivante, le décès de son père le conduit à abandonner le concours et à se rendre à Rome à ses frais. Son séjour est toutefois de courte durée, craignant d’être inscrit sur la liste des immigrés et de perdre de ce fait la maigre pension familiale, il n’a d’autre choix que de rentrer à Paris. Perdant sa mère en 1793, il doit alors subvenir seul aux besoins de ses deux frères. Il est alors sélectionné par David aux côtés de Girodet, et Chauvet pour participer au nouveau projet conçu par l’éditeur Pierre Didot. Ce dernier qui a repris avec son frère la maison d’édition familiale imagine une nouvelle collection ambitieuse, consistant en des oeuvres antiques illustrées par les meilleurs artistes du moment dans un format monumental : l’in-folio. Gérard réalise ainsi des planches pour les éditions de prestige des oeuvres de Virgile publiées en 1798 et pour les oeuvres de Racine publiées en 1799. En 1794, son dessin du 10 Août 1792 lui valut, avec le premier prix au concours ouvert par la Convention, un logement et un atelier au Louvre. Peintre d’histoire et portraitiste de talent, son activité s’étend de la Révolution à la Restauration.
Ce dessin daté de 1785 est une oeuvre de jeunesse de Gérard, qu’il réalise alors qu’il est dans l’atelier de Brenet. L’anecdote rapportant sa détermination à réaliser une composition de La Peste à l’âge de quatorze ans, confirme qu’il possédait déjà une virtuosité dans le dessin. Preuve supplémentaire de ce talent précoce, il remporte en septembre 1785 une 3ème médaille au prix de quartier de l’Académie, avec une figure d'homme au bouclier.
C’est donc la même année qu’il réalise cette scène représentant un Hercule écrivant probablement ses exploits sur un bouclier face à un parterre de personnages féminins. OEuvre d’une magnifique facture, la minutie que Gérard apporte aux détails est époustouflante, le travail effectué sur les drapées et les chevelures démontre des qualités de dessinateur abouti.
François Gérard,
Homme tenant un bouclier du bras gauche, 1785
Pierre noire, estompée, sur papier blanc
60,1 x 45,6 cm
Ecole des Beaux-arts de Paris
© Cat'zArts
L’influence de son passage chez le sculpteur Pajou est très perceptible, le modelé des personnages rappelle la statuaire antique et le traitement du corps dénudé d’Hercule semble grandement inspiré de la statue de
l’Hercule Farnèse. L’exactitude du trait et l’harmonie de la composition saisissent le spectateur qui est d’abord subjugué par la qualité de la réalisation avant de s’interroger sur la lecture de la scène. Gérard semble avoir créé une scène composite reprenant plusieurs références mythologiques lui permettant de s’essayer à des exercices différents tout en conservant une cohérence dans la composition. Si le personnage d’Hercule est aisément identifiable grâce à sa massue et la peau du lion de Némée qu’il porte, les autres figures sont quelques fois plus difficiles à analyser. Le groupe féminin semble être composé de muses en raison des attributs qu’elles arborent, la femme tenant une lyre serait alors Euterpe (la musique) ou Terpsichore (la danse). Devant elle les deux femmes, tenant chacune une tablette et un stylet, pourraient correspondre à Calliope (poésie épique) et Erato (poésie lyrique).
Au second plan, les deux femmes penchées sur un livre seraient peut-être les muses Clio (l’histoire) et Polymnie (la rhétorique). Bien que ne pouvant être chacune clairement identifiées, les attributs indiquent que ces figures fonctionnent dans tous les cas comme des allégories renvoyant aux arts. Le sujet serait alors un thème mythologique connu, celui d’Hercule musagète, ou Hercule protecteur des muses et par extension des arts. L’épithète « musagète » est généralement adjointe aux figures d’Apollon et Hercule, à Rome un temple est dédié conjointement au héros et aux muses. Cette idée d’Hercule conduisant les muses trouve un écho dans l’action accomplie par celui-ci qui écrit sur un bouclier. Or cette image découle d’un motif mythologique romain très répandu, celui de la Victoire écrivant sur un bouclier. Apparaissant sur la colonne Trajane, cette figure sera extrêmement reprise, notamment pendant la renaissance italienne. La scène pourrait alors être lue comme Hercule listant ses exploits tandis que les muses en prennent note afin de les chanter et de les graver dans la postérité. Cette action prend d’ailleurs place probablement devant une statue de Niké la Victoire ou de Tychée la Fortune. La figure étant coupée, il n’est pas possible de savoir si elle est ailée, toutefois la palme qu’elle tient dans la main renvoie à la figure de la Fortune, la Gloire, ou la Victoire. La scène est surplombée de plusieurs figures parfois énigmatiques. Le personnage de droite qui s’élève sur un quadrige pourrait être Apollon ou Hélios conduisant le char du Soleil, mais la présence des muses semble renforcer la thèse d’Apollon.
La Victoire écrivant sur un bouclier,
113 av. J.-C.
Plâtre moulé d’après bas-relief, 110 x 2.5 cm
Colonne Trajanne,
Elizabeth Vigée-Lebrun, Le génie D’Alexandre I,
1814
Huile sur toile,
110 x 84.5 cm
Musée de l’Ermitage
© 2006, SCALA, Florence / ART RESOURCE, N.Y.
Concernant le personnage casqué portant une tunique, il est possible d’avancer l’idée qu’il s’agisse d’une femme même si les traits ne sont pas très discernables. La présence du casque couplé au genre féminin plaide alors pour Athéna. Juste en dessous un personnage masculin, ailé semble répandre quelque chose sur l’assemblée des muses. L’hypothèse la plus plausible quant à son identification est celle de la figure du Génie, le Genius romain, sorte de double divin ailé associé à chaque homme et représentant sa part immortelle. L’étude de son iconographie révèle qu’il est souvent associé à la gloire, comme le démontre l’oeuvre de Vigée-Lebrun, dans laquelle le génie d’Alexandre I note sur un bouclier les exploits du général. Le personnage du génie fonctionne donc dans sa représentation classique en lien avec la gloire, la victoire et l’action de graver matériellement ses prouesses, ce qui fait parfaitement écho au dessin de Gérard et conforte notre identification. Le couple de personnages sur la droite, montant chacun un cheval correspond aux Dioscures, reconnaissables à leur attribut l’étoile, qui rappelle leur métamorphose astrale. Leur présence peut renvoyer à l’idée d’apothéose, ce qui conférerait un deuxième sens à la scène ou plutôt une continuité dans la lecture. Au thème d’Hercule musagète, auréolé par la gloire, qui inscrit sa bravoure dans la postérité, vient s’ajouter l’apothéose du héros, qui, oscillant entre monde terrestre (évoqué par le la toute petite fenêtre que l’artiste ouvre sur une scène de pastorale) et monde divin, réalise sa métamorphose finale grâce aux travaux accomplis sur terre. Hercule est ainsi dans un lieu d’entre deux, il n’est plus sur terre puisqu’elle est visible en contrebas, mais n’a pas encore rejoint le monde céleste. Cet espace divin est matérialisé par la présence du dieu Apollon initiant un mouvement vers les cieux, par la figure du génie qui symbolise la part immortelle du héros et par la référence à Castor et Pollux, les jumeaux métamorphosés en astres. Ainsi trois espaces coexistent dans le dessin et permettent à l’artiste de démontrer sa maitrise de la perception des différents plans et de la profondeur. Par une composition complexe, Gérard parvient à souligner à la fois sa dextérité artistique, mais également l’étendue de sa culture antique. OEuvre de jeunesse de l’artiste, elle révèle déjà les qualités d’un futur grand peintre.
Le talent de Gérard en matière de représentation de scène à l’antique se retrouve quelques années plus tard à l’occasion des illustrations qu’il réalise pour les éditions Didot. Cet éditeur désire lancer une édition de prestige à tirage limité des grands classiques de la littérature antique et contemporaine dans un format monumental : l’in-folio. Ce projet ambitieux mobilise les plus grands artistes académiques de leur temps. À l’approche classique, la plupart ont séjourné à l’académie de Rome, et sont membres de l’Académie de peinture. Les plus jeunes (Gérard a 31 ans, Girodet 34 ans) sont également ceux qui ont le plus étés sollicités, et reçoivent les commandes des pièces les plus importantes : Andromaque, Iphigénie, par exemple. En 1798 le premier ouvrage voit le jour, il s’agit des oeuvres de Virgile illustrées par 23 estampes d’après les desseins Girodet et Gérard. Ce dernier illustrera également Alexandre pour le tome 1 et Bajazet et Iphigénie pour le tome 2.
Clytemnestre pour l’Iphigénie de Racine
Gravure d’après François Pascal Simon GÉRARD.
1801
50 x 35 cm
Edition Pierre Didot
The Metropolitan Museum of Art
Achille pour l’Iphigénie de Racine
Gravure d’après François Pascal Simon GÉRARD.
1801
50 x 35 cm
Edition Pierre Didot
The Metropolitan Museum of Art
Achilles jurant de venger la mort de Patrocle
François Pascal Simon GÉRARD.
Crayon noir
26,8 x 35,5 cm
Caen, Musée des Beaux-Arts
Galerie Prouté, Paris 1979, n°63
Vente Osenat, L’Empire à Fontainebleau, 7 et 8 décembre 2019, Lot n° 238 expertisé par le cabinet De Bayser